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Allison

Comment ressentez vos symptômes d’endométriose? L’une de mes premières crises de douleurs, d’une intensité hors norme, m’a laissée totalement impuissante, apeurée, épuisée mais surtout dans une constante agonie. Lorsque ces crises se manifestent, tout mon abdomen s’enflamme: je suis incapable de bouger ou de crier. Chaque respiration devient douloureuse car elle augmente la pression sur mon abdomen inflammée. Par moment, l’intensité de la douleur est tellement forte que je m’évanouis ou que je commence à ne plus sentir mes extrémités. Et cette agonie dure entre une et deux heures. C’est long, cette impuissante totale où les anti douleurs ne font pas ou peu effet. S’ensuit alors des jours de douleurs, moins intenses, mais où marcher est une épreuve, aller aux toilettes est quasi impossible, manger est inconfortable, et dormir est compliqué. Si je devais mettre une image sur cette douleur, elle commencerait comme un cou de poignard dans mon ovaire gauche, qui se diffuse et brûle tout aux alentours. C’est tellement incapacitant que je suis incapable de réfléchir: tout mon être est submergé par elle. Puis le “répit” n’en est jamais un, puisque l’endométriose me provoque des douleurs digestives quotidiennes, une sciatique, bloque mes genoux, coince mon diaphragme et me laisse dans un état de fatigue déplorable.

Comment était votre parcours vers un diagnostic d’endométriose? Il aura fallu 14 ans pour qu’un diagnostic soit posé. Mes premières règles s’accompagnaient de douleurs, mais ont surtout déclenché des douleurs et problèmes digestifs quasi journaliers qui sont eux aussi causés par l’endométriose. J’ai été sous pilule hormonale de mes 17 à 24 ans. J’en ai eu 4 ou 5 différentes, chacune prescrites avec des anti douleurs à renouveler tous les mois. Ni mes kystes ovariens réguliers, ni mes problèmes digestifs, ni mes douleurs n’ont jamais mis la puce à l’oreille à personne. Ni même à moi d’ailleurs. J’avais pourtant des rendez-vous annuels avec mon gynécologue, ainsi que des échographies pelviennes une à deux fois par an. Gastroentérologue, gynécologue, médecin de famille: aucun n’avait fait le lien ou n’avait de vision d’ensemble. En 2016, je décide d’arrêter les hormones et de passer au stérilet en cuivre. La libération psychologique a été immédiate: je retrouvais mon corps et mon état normal sans influence hormonale. Mais des douleurs différentes, plus intenses, ont commencé à émerger. Elles étaient soudaines, brèves, d’une violence inouïe. N’en connaissant pas la cause, je décide me faire retirer mon stérilet en 2018, expliquant à mon gynécologue le type de douleurs que je ressentais. Outre sa réaction dédaigneuse et la violence gynécologique que j’ai subi ce jour là, il décide me prescrire une IRM en décembre 2018, soupçonnant une endométriose. L’examen n’a pas été fait, et les crises intenses et incapacitantes ont débuté en février 2019. Après deux passages aux urgences en 4 mois, on décide de me rediriger vers le centre de gestion de la douleur et de gynécologie après que j’ai mentionné à plusieurs reprises le soupçon d’endométriose. Les urgences m’avaient fait des échographies, détectant un kyste ovarien, mais rien de plus. Ma prise en charge a débuté avec un traitement hormonal auquel j’ai très mal réagis, et qui n’a pas diminué les crises de douleurs. J’ai finalement eu une laparoscopie en juillet 2019, confirmant le diagnostic d’endométriose profonde, de stade 4.

Quelle était votre expérience avec le traitement de l’endométriose? Il n’existe pas de traitement pour l’endométriose, seulement des moyens bancals pour soulager ou supprimer les symptômes principaux, en l’occurrence la douleur. Les “traitements” hormonaux ont dans mon cas été une catastrophe. Mon organisme ne semble pas supporter les changements hormonaux, qui ont un fort impact sur ma santé mentale et sur mon physique. Les pilules mini dosées sont plus supportables, mais n’ont que peu d’effets sur les douleurs, si ce n’est aucun. Cela me provoque de la dépression, de l’anxiété, des gonflements, la sensation de ne plus habiter mon corps (assez difficile à expliquer) et j’en passe. Le problème c’est que bien souvent, voir quasi constamment, on nous demande de passer par la case traitement hormonal au lieu de venir enlever la maladie lors d’une chirurgie. Certain.e.s le supportent mieux que d’autres, peuvent vivre avec le reste de leur vie, mais en aucun cas cela ne fait disparaitre la maladie ou ne la traite. Les effets secondaires de ces traitements sont parfois, ou souvent, aussi handicapants que la maladie elle-même et n’améliore pas la qualité de vie. Dans mon cas, je devais faire le choix entre des douleurs incapacitantes et invalidantes, et une santé mentale laborieuse. Aucune de ces deux options n’est un choix acceptable.

Comment l’endométriose affecte votre vie quotidienne? Dépendamment des jours, je ne pouvais par exemple pas mettre mon pantalon: l’action de lever la jambe était douloureuse. Vivre avec une endométriose, c’est devoir annuler des sorties ou soirées avec des ami.e.s à la dernière minute parce que soudainement on a des douleurs ou on est trop épuisée. C’est aussi venir avec sa bouillote au travail ou encore devoir s’allonger sur le sol de son bureau pendant plus d’une heure parce qu’on est incapable de bouger, donc incapable de rentrer chez soi à cause de la douleur. C’est aussi avoir de la misère à faire du sport parce que s’allonger ou s’asseoir fait déjà mal.

Comment l’endométriose affecte votre bien-être émotionnel? Cette maladie chronique a un fort impact sur la santé mentale car comme son nom l’indique, elle est chronique, toujours là, sans répit. C’est épuisant d’avoir mal quasi quotidiennement et de devoir se couper de tout ce qui nous fait du bien, car nous sommes physiquement incapable de le faire. Vivre avec une endométriose, c’est avoir peur, que la douleur intense débarque à tout moment et nous oblige à rester immobile au travail, dans la rue, chez des ami.es, ou peu importe où. C’est craindre cette souffrance comme on craint le feu. Ça devient irrationnel et paralysant. Subir cette douleur c’est, en plus d’être éreintant, profondément traumatisant. La mienne atteint tout mon abdomen, rien n’est épargné. Et quand on ne sait pas ce qui nous arrive, on est persuadé que la mort nous attend au tournant. On a même pas la force de pleurer. Mais le pire est que les ramifications et conséquences sur les autres parties de son corps sont omniprésentes. Si je n’avais pas de crise de douleur, alors c’était mes genoux qui m’empêchaient de marcher et qui devenait tellement inflammé que je ne pouvais plus les plier. Ou bien la sciatique, qui produit le même effet. Chacun.e réagit à sa manière, mais dans mon cas, j’avais entamé une guerre contre mon corps. Parce qu’accepter cette douleur c’est aussi faire preuve de vulnérabilité, et pour moi, dans un certain sens, était synonyme de baisser les bras. Ça m’a causé un désespoir profond, parce qu’il ne semble pas y avoir d’issue. Et quand le milieu médical n’a pas vraiment de solutions pour vous, il vous reste votre ténacité, ou alors l’envie de mettre fin à tout ça, et donc à ses jours.

Comment l’endométriose a marqué des tournants dans votre vie jusqu’à présent et à regarder vers l’avenir? L’endométriose constitue un tournant important dans ma vie, concernant ma relation avec ma corps, mon non désir de maternité et la manière dont j’envisage ma vie. Cette maladie nous force à nous occuper de nous, mais surtout à faire tourner notre vie autour de ça. Les rendez-vous médicaux, les rendez-vous para médicaux, l’alimentation, l’hygiène de vie: tout doit être réglé pour limiter les crises de douleurs ou atténuer certains symptômes. En l’espace d’un an et demi, j’ai du transformer mon mode de vie pour 1/ inclure du soin, qu’il soit physique ou psychologique, plusieurs fois par mois et 2/ minimiser les risques et toutes les choses qui pouvaient potentiellement me causer des douleurs. Cela m’a forcé à m’occuper de moi, puisqu’il n’y avait pas d’autres alternatives, et à accepter mes nouvelles limitations physiques. Concernant le rapport à la maternité, j’étais persuadée avant que les douleurs intenses débutent, que je n’aurai pas d’enfants, par choix. Toutefois, quand après ma première opération on m’a parlé de me retirer l’utérus, et un ovaire, on nous met face à des choix de vie qui normalement prennent des années de réflexion. On doit alors entamer soit un processus de deuil de sa fertilité, soit un combat ponctué de congélations d’ovules et de fécondations in vitro pour espérer tomber enceinte avant que le couperet ne tombe. Plus encore, se faire retirer un organe, et par conséquent sa fonction reproductive a un impact psychologique que l’on ne mentionne pas assez. On nous retire ce choix, la décision de fonder une famille ou non, au rythme auquel on le souhaite. La liberté de changer d’avis ou de faire des erreurs n’existe plus: cela devient définitif. Face à tout ça, le plus fort impact sur ma vie en lien avec l’endométriose a été de faire le choix de me battre, d’apprendre, de m’éduquer tous les jours sur cette maladie, mais surtout d’en parler. De me défendre aussi et de ne pas accepter de manière aveugle ce que des médecins ou gynécologues pouvaient préconiser, alors qu’ils ne sont pas spécialistes et retirent des utérus à tour de bras. Elle m’a poussé à devenir partie prenante de ma prise en charge, et plus seulement passive.

Comment est-ce que vous avez trouvé de l’espoir ou du soutien au cours de votre parcours d’endométriose? Le premier réconfort que j’ai trouvé quand les douleurs intenses ont débuté, et que j’étais totalement perdue face à cette avalanche d’informations médicales, a été les groupes de soutien sur les réseaux sociaux. Le fait de lire les témoignages d’autres personnes, mais aussi de récolter des conseils, retour sur expérience, référence de médecins, ou mots de soutien a fait toute la différence. Se savoir entourée par des personnes qui vivent la même chose que vous, qui vous rassurent et qui vous écoutent fait une immense différence. Mes proches ont eu, et ont toujours, un rôle important dans ma prise en charge. Ils m’ont poussé à prendre soin de moi, à parler pour moi et à me faire entendre auprès des médecins. Ils m’ont aussi écouté, encouragé et soutenu d’une manière extraordinaire, sans jugement. Il en va de même de mes collègues de travail et de mon employeur qui font preuve d’une bienveillance infinie. Enfin, les autres prestataires de soin de santé font une énorme différence dans la gestion quotidienne de la maladie. Ostéopathie, acuponcture, hypnothérapie, massothérapie, naturopathie. Tous ces praticiens améliorent mon quotidien et mes douleurs. Puis l’un des plus gros soutiens que l’on peut trouver est lorsque notre gynécologue nous croit sur parole, et ne remet pas en question nos douleurs, ne les diminue pas, ne nous dit pas que c’est dans notre tête, qu’on psychosomatise ou autres. Pour avoir subi du “medical gaslighting” pendant des années, être vraiment écoutée sans être jugée fait une différence énorme dans la prise en charge.

À quoi les soins de santé pour l’endométriose au Canada devraient ressembler, selon vous? Le B.A BA serait déjà d’avoir accès à des médecins! Avoir un rendez-vous médical est difficile lorsque nous n’avons pas de médecin de famille (ce qui prend des années d’attente), et il faut la majorité du temps payer sur Bonjour Santé pour trouver un rendez-vous en clinique. Puis lorsque nous avons rendez-vous, ils sont soit expéditifs, soit sous estiment nos douleurs et problèmes. Ensuite, avoir des professionnels de santé qui aient une connaissance, même minime, de l’endométriose, peut faire une grande différence. Il y a tellement de personnes, y compris dans le milieu médical, qui ne savent pas ce qu’est cette maladie et qui restent persuadés que ce sont des douleurs de règle, que ça en devient décourageant. Les examens médicaux devraient également être effectués par des spécialistes en lecture d’imageries pour l’endo, puisqu’il est difficile de la détecter sur échographie ou IRM. Puis le point principal serait un meilleur accès aux spécialistes, mais aussi qu’ils soient référencés à la manière de Nancy Nook. Avoir un.e chirurgien.ne qui pratique la chirurgie d’excision, c’est une chose, mais que cet.te praticien.ne soit également un expert en endométriose, c’est mieux et cela devrait être obligatoire. Le taux de récidive de l’endométriose après une première laparoscopie est très élevée, et nécessite souvent une deuxième, voire une troisième chirurgie. Si les interventions les plus complètes étaient réalisées dès le début par des spécialistes en endo, nous n’aurions pas besoin de retourner sur la table d’opération. La généralisation des traitements hormonaux dès l’adolescence est aussi à mon sens problématique, puisqu’ils masquent l’évolution des symptômes, et donc de la maladie, créant des situations où l’endo s’est développée de manière exponentielle en toute ignorance et qui requière des interventions beaucoup plus lourdes par la suite. Il faut détecter l’endo plus tôt en: écoutant ses patient.e.s, pratiquer plus d’examens d’imagerie médicale et surtout investir des fonds pour cela.

Qu’est-ce qu’il est important que les gens sachent sur l’expérience d’être atteinte de l’endométriose au Canada? L’intensité et la disparité des symptômes, mais aussi le parcours du combattant que nous devons tous.tes entreprendre pour nous faire prendre en charge. L’endométriose reste peu connue, et quand elle l’est, il s’agit d’un tissu de mythes et de désinformations. Partager des informations scientifiques, basées sur la recherche médicale, me semble être une priorité, pour que les gens comprennent de quoi il s’agit. La disparité des symptômes et ses multiples ramifications me semblent aussi être important. Le fait que dans l’inconscient collectif cela soit associé à une maladie de règle, qui arrive seulement à ce moment là, et qui n’a pas d’autres répercussions est à mon sens problématiques car il limite les auto diagnostiques possibles quand on ne rentre pas dans la case principale, et qu’ils ne dépeignent pas la réalité. Libérer la parole sur les symptômes est important, apprendre à ne plus en avoir honte aussi.